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Pinelli una storia Venezia 1984 Crocenera anarchica

Home Centro studi libertari - Archivio G. Pinelli

Visto che non viviamo più i tempi della rivoluzione, impariamo a vivere almeno il tempo della rivolta - Albert Camus

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Entretien avec Jacky Toublet

 

Je suis correcteur de métier; au mieux, j'étais correcteur de métier, puisque maintenant je suis en pré-retraite.

En 68 j'étais correcteur à l'Imprimerie Municipale de la Ville de Paris, où j'étais délégué du personnel. En 68 j'avais 28 ans. Pour les personnes qui, à l'époque travaillaient dans l'industrie, comme l'était l'imprimerie à l'époque, Mai 68 a été un évènement tout à fait extraordinaire au sens propre, c'est-à-dire inattendu.

 

Ce n'est que plus tard que nous avons compris, ceux qui ont réfléchi sur la période, qu'il y avait eu des évènements qui avaient préparé 68, notamment la grande effervescence du mouvement étudiant qu'en règle générale, dans le mouvement ouvrier, on regardait comme une sorte d'agitation un peu stérile et un peu sans avenir, curieusement. Et, s'il y avait une sympathie pour ceux qui notamment s'opposaient à l'invasion américaine au Vietnam (puisque c'était là un élément fort autour su quel se sont constitués les groupes étudiants), beaucoup de personnes considéraient qu'en dehors de cet aspect purement humanitaire, le mouvement étudiant (qui était d'ailleurs assez peu connu) ne représentait pas d'intérêt. Et c'est au cours du mois de Mai que beaucoup de travailleurs se sont mobilisés sur la question, notamment à partir du milieu Mai, où il y a eu un grand mouvement (enfin je ne vais pas raconter l'histoire): il y a eu une très grande manifestation, environ 1 million de personnes, ce qu'on n'avait pas vu depuis la Libération à peu près, et beaucoup de travailleurs à ce moment-là, politisés à des degrés divers, ont essayé de lancer un mouvement de grève qui s'est produit pour abattre le gaullisme. Ça a été en gros l'aspect purement politique de l'affaire du point de vue des évènements. Ensuite, bien sûr, les différents acteurs politiques ont joué, mais c'est un peu de cette manière-là qu'ont été vues les choses.

 

Mais est-ce qu'on peut dire que 68, comme ça, à priori, est une révolution?

On ne peut pas le dire au sens propre du terme: ce n'est pas une révolution. Est-ce qu'on peut dire de manière légitime que Mai 68 a été une révolution? Je ne le pense pas, ou c'est en employant le terme "révolution" dans un sens qui n'est pas le sens d'avant 68. Il n'y a pas eu une révolution au sens exact du terme: il n'y a pas eu de bouleversement politique, ou social. Il y a eu une espèce de mutation sociétaire, un bouleversement des mentalités qui s'est opéré à cette époque-là.

 

Quelles en étaient les caractéristiques?

Il y a eu d'abord, je dirais, un bouleversement politique très important qui a été l'affaiblissement du Parti Communiste, en particulier dans son image. Le Parti Communiste n'était plus l'élément révolutionnaire et l'élément porteur d'avenir. C'était une organisation conservatrice et corporatiste. C'est tel que je le pense. Des personnes le voyaient à l'époque (moi, à l’époque, j’étais déjà dans le mouvement libertaire depuis quelques années, donc j'avais une opinion politique sur le Parti Communiste), et c'était l'opinion générale de la plupart des gens qui travaillaient -enfin que j'ai connues- et qui considéraient que le PC c'était timoré. Peut-être donc y a-t-il eu l'achèvement de cette mise en question du PCF, en France en tout cas, qui avait commencé à partir de Budapest en 1950 où, pour la première fois, l'opinion publique française avait vu une répression proprement d'état sur un peuple en révolte: il était terrible, pour les progressistes français, de voir que leurs espoirs dans l'Union Soviétique s'affaiblissaient et, il me semble (c'est une opinion que je donne), qu'en 68 ce qui restait encore d'illusions a disparu complètement, y compris sur le PCF lui-même, car, bien que c'était les soviétiques qui étaient en question, les français se donnaient toujours une allure de relative indépendance et là ils sont apparus comme des personnes, des partis, des organisations timorés, conservateurs! Cela a changé beaucoup de choses, particulièrement sur la jeunesse militante qui en règle générale ne s'est pas engagée dans le PC et ses groupes; au contraire, est né ce mouvement qu'on appelle gauchisme... enfin vous connaissez et peut-être qu'on n'a pas trop à s'étendre sur cette question-là.

 

Quels ont été ces points de fracture importants?

Il y a donc eu la fracture politique et également, je crois, syndicale. L'agilité tactique de la direction CFDT et, peut-être, un engagement réel d'un certain nombre de ses dirigeants, notamment Eugène Descamps, ont fait que toute une partie de la jeunesse ouvrière de 68 s'est engagée dans la CFDT et l'ont rénovée de manière importante, puisque la CFDT avait été la seule organisation qui n'avait pas condamné le mouvement étudiant de manière définitive comme l'avait lait la CGT où, je vous le rappelle, Cohn-Bendit avait été appelé "anarchiste allemand", ce qui était sans doute, dans l'esprit du PC, deux qualificatifs redoutables. Il y a eu un effet inverse: le PC, internationaliste, pour la fraternité entre les peuples, l'internationalisme prolétarien, ne doit pas parler comme ça, et cela s'est retourné contre lui; mais ça, c'est autre chose. Il y a donc eu cette rupture-là.

Ensuite, il y a eu une grande rupture dans les mœurs qui a été très caractéristique, par exemple "Libération”: Libé est né à ce moment-là, du mouvement de 68, vous le savez, donc c'était des gens très impliqués dans le mouvement à l'époque, et a fait paraître dans les années qui ont suivi des photos de soixante-huitards ordinaires, avant et après: les têtes changeaient, les têtes des personnes ont changé, chacun parlait de sa vie et en gros leur vie avait changé, c'est-à-dire que ceux qui étaient mariés ont souvent divorcé; il y a eu, dans la société française, dans la génération, une sorte d'aspiration à la liberté, y compris à la liberté sexuelle et aux tentatives de vivre autrement qu'en couple monogamique, tentatives de constituer des communautés (des personnes vivant dans les mêmes appartements, etc.) et ça a été une chose qui a duré au moins jusqu'en 1980 cl qui a accompagné plutôt cet engagement militant dans beaucoup d'endroits, notamment de la CFDT mais également ailleurs, avec une grande combativité. La combativité a beaucoup augmenté et les grèves... vous connaissez cette affaire-là.

Un des slogans les plus célèbres (c'est la question qu'on aurait à discuter) a été "l'information au pouvoir" ou "sous les pavés, la plage". L'idée de l'imagination au pouvoir, en dehors de la référence faite aux surréalistes a été, je pense, un slogan qui a montré un certain nombre de conceptions, de manières de voir les choses, de façons de vivre, par une partie de ces gens qui étaient engagés dans le mouvement et qui disaient d'une certaine manière: "Le monde va changer".

 

Je pense que beaucoup de personnes pensaient que le monde allait changer, enfin j'entends par là changer le monde au sens des lois scientifiques, mais c'était presque ça... Le marxisme-léninisme à la mode de 68 était quelque chose d'un peu fou, qui aurait certainement donné un sérieux mal de tête à se tenir lui-même: dans le journal qui s'appelait "Tout", il y avait une certaine sorte de conception, ces personnes pensaient qu'elles allaient changer réellement le monde de manière presque religieuse. Il ne faut pas que l'on prenne mal ce que je veux dire, mais c'est quelque chose qui rappelait le Millénarium chrétien, l'arrivée du Christ sur la terre qui va changer les hommes, la condition humaine, et c'était là sans doute l'illusion la plus grave et la plus politiquement dramatique de 68.

Parce que bien sûr les scientifiques n'ont pas changé et l'espèce humaine est restée la même, ce qui fait que les désillusions ont été à la hauteur de l'espérance un peu mythologique qui avait été lancée, ce qui a fait qu'assez rapidement le mouvement est tombé et qu'il a été récupéré très vite par des réformistes (enfin en gros ceux qui ont amené cette dynamique sociale vers les élections, vers le programme commun, vers le gouvernement de gauche dix ans après).

Voilà, je pense, une caractéristique de cette période, pas très facile à saisir parce qu'elle a une espèce de côté magique: oui, c'est presque magique que d'un seul coup les individus refusent, d'une certaine manière, la condition humaine et essayent, par une sorte de rêve bleu, de dépasser la condition humaine avec toutes les difficultés que cela représentait.

Le plus grave fut, je pense, de voir réapparaître la réalité quotidienne: le travail, le chômage: le slogan "boulot, métro, dodo” parmi tant d'autres à l'époque montrait bien que la tristesse de la vie continuait "vous savez, on doit passer sa vie à la gagner c'est-à-dire à la perdre", etc.

Cette période a donc été accompagnée d'un grand espoir, d’une grande espérance parmi ceux qui étaient engagés dans le mouvement et, il est sans doute utile de le rappeler, qui représentaient plusieurs centaines de milliers de personnes présentes partout, pas seulement dans les grands centres industriels mais un peu partout, dans toute la France.

Il est vrai aussi qu'il y a eu toute une propagande absolument terrifiante faite dans les petites villes et les villages par la droite et qui représentait 68 à Paris comme la Commune en 1871 (les gens se tiraient dessus, etc.). Cette propagande était exagérée, bien sûr -c'est pour l'anecdote-. Simplement cet espoir, cette espérance ont déclenché beaucoup de désillusions et cela a été sans doute une des raisons qui ont permis à la droite politique et à la gauche réformiste, qui était en constitution à l'époque, de récupérer le mouvement et de l'amener vers le programme commun et les élections de 81, l'élection de Mitterand comme Président de la République avec tout ce qu'on a connu depuis, où mai 68 a remis en selle d'une certaine façon le courant réformiste français très affaibli depuis la guerre d'Algérie.

Il y a donc eu cette espèce de mouvement, très diffus, mais très important. Les slogans "métro, boulot, dodo" caractérisent cette espèce de lassitude devant la vie, ainsi que tout ce qui venait du mouvement situationniste (tel que perdre sa vie à la gagner, etc.). Bref, toute cette manière de voir les choses a beaucoup affaibli, je pense, le courant qui s'est engagé, qui a essayé de constituer des organisations révolutionnaires, parce que, je pense qu'on peut le dire, un certain nombre de ces soixante-huitards ou des gens qui étaient déjà militants ont essayé de reconstituer dans plusieurs directions le mouvement révolutionnaire français, quasiment disparu depuis les années 50.

 

Il y a eu 3 grandes branches: les différentes branches trotskystes, le mouvement maoïste lui-même, qui a été très dynamique mais très très confus, et le mouvement libertaire. Le mouvement maoïste a été une sorte d'aberration historique, une sorte d'absurdité: les partis de la jeunesse, notamment venant des chrétiens ou du PC, ont, en s'appuyant sur ce qu'on savait -ce qu'on en disait- de la révolution culturelle chinoise, intégré un concept, un corpus politique et économique tout à fait étranger à leur origine, soit chrétienne, soit stalinienne (souvent les deux car ils allaient de l'une à l'autre) à laquelle ils ont ajouté une espèce de préoccupation antiautoritaire qui paraît-il existait là-bas à ce moment-là dans la révolution culturelle chinoise. On a su depuis que c'était une erreur, un mensonge. Cela a donné un mélange absolument étonnant de préoccupations antiautoritaires réelles dans le fonctionnement de ces organisations maoïstes (en général d'une portée de quelques mois la plupart du temps), dans le rapport des personnes, dans les luttes et la propagande qu'elles faisaient; cette réelle préoccupation antiautoritaire faisait que les maoïstes, indépendamment de l'idéologie qui se promenait sous le badge Mao, sous les bleus de travail, étaient au fond des anarchistes du point de vue du fonctionnement individuel des personnes et dans leur organisation même, bien qu'il reste entendu qu'il y avait (on l'a appris après) des groupes dirigeants souvent dissimulés qui manipulaient ce mouvement, qui d'ailleurs a disparu très vite.

Mais c'était une sorte d'aberration historique, qui venait de plusieurs natures, et qui a fait bien sûr que l'apparition de ce qu'était réellement la Chine, à travers le livre et le film de Simon L.(?), "les habits neufs du président Mao" a été une catastrophe pour les camarades qui se réclamaient du maoïsme, en général du marxisme-léninisme, "ML", et qui a complètement détruit ce mouvement.

 

Autrement dit, ceux qui ont le mieux profité du mouvement révolutionnaire, du point de vue réformiste ce sont les socialistes, qui se sont bâtis sur les débris de 68, mais ce sont surtout indiscutablement les trotskystes, et notamment parce que le mouvement trotskyste avait, quelques dizaines d'années avant les évènements, constitué des organisations qui avaient une certaine réalité, notamment dans les universités et, pour certains groupes, dans la classe ouvrière ou chez des fonctionnaires issus de l'implantation du mouvement trotskyste des années 50. Pour ce qui est du Parti Communiste International, ces camarades avaient réussi à maintenir une structure beaucoup plus importante que le mouvement libertaire de l'époque, qui était, pour ce que j'en apercevais à l'époque, extrêmement faible.

A partir de ces noyaux, autour de la JCR, de la FAR, même de Lutte Ouvrière (enfin, de ce qui s'appelait à l'époque Voix Ouvrière), il y a eu un gonflement important et ils ont réussi à amener une partie de la jeunesse sur leur mot d'ordre.

 

Il y a deux faits très nets: d'abord la mort d'Overney, qui a signé la fin du gauchisme d'une certaine manière. Quand Overney s'est fait tuer chez Renault, il y a eu son enterrement et, pour des raisons que je ne m'explique d'ailleurs pas vraiment, toutes les illusions se sont alors envolées. Il y avait eu d'autres morts, mais là il y a eu un mort d'une manière particulièrement sordide: un jeune homme abattu comme ça à l'entrée d'une usine alors que la société était quand même un peu pacifiée, ça a été une sorte de choc qui a, peut-être, fait s'évaporer les illusions: le monde réel est apparu dans toute sa brutalité à ce moment-là. En tout cas on peut dire que c'est à ce moment-là que le gauchisme a muté et est devenu quasiment ce qu'il est aujourd'hui, contre le mouvement d'extrême-gauche qui essaie, lui, de travailler dans le mouvement ouvrier, dans la population, à côté du PC. Ainsi le grand mouvement gauchiste qui montait s'est arrêté.

Avec la mort d'Overney, le 2ème évènement fut l'interdiction de la LCR, à la suite d'une manifestation en direction de l'ambassade des Etats-Unis, ce qui a fait que la LCR a détruit son service d'ordre, le fameux groupe constitué à la JCR. Ils ont alors décidé de devenir une organisation politique, "adulte" et je pense qu'ils ont à ce moment-là raté ce qu'ils auraient pu devenir, en refusant d'assumer ce qui était la violence ouvrière des jeunes ouvriers, en refusant de la porter ils ont brisé, d'une certaine manière, leur espoir historique. Peut-être, s'ils avaient continué (c'est une opinion personnelle), ils auraient pu réellement devenir une organisation qui aurait pesé sur la société française, alors que le fait de devenir une organisation politique a fait qu'ils sont devenus un petit parti communiste singeant le PC, Krivine singeant Marchais. C'est devenu un peu banal.

 

Alors, en ce qui concerne le mouvement libertaire, qu'est-ce qu'on peut dire? D'abord, qu'il était extraordinairement faible. En tout cas dans les centres industriels. Et étonnamment dévalué, aussi: l'anarchisme n'était plus présent nulle part, sinon un peu dans la littérature, peut-être (je me souviens plus si on avait réédité Dorieu, peut-être) mais enfin, il n'y avait pratiquement pas de livres, il n'y avait pas de militants. A Paris il y avait 2 ou 3 groupes à la FA, dont le groupe Noir et Rouge dont était issu Cohn-Bendit et le Groupe Gaston Levai dont était issu Christian Lacombe, un militant de très grande valeur (j'étais à ce groupe), et c'était pratiquement tout. Il y avait d'autres choses à Paris, en France, mais c'était extrêmement faible. L'influence d'un certain nombre d'étudiants libertaires, notamment Cohn-Bendit et Dutheil (enfin quelques-uns sont encore présents), ont impulsé dans le mouvement une sorte de feu, une étincelle qui a mis le leu à la plaine au fur et à mesure que le mouvement s'est développé, notamment les grèves, et les manifestations où les drapeaux noirs devenaient de plus en plus nombreux alors que dans les premières semaines, les premiers jours en tout cas, il n'y en avait pratiquement pas (et on a du mal à s'expliquer pourquoi).

Mais est-ce que les centaines de gens qui se promenaient avec des drapeaux noirs étaient des anarchistes au sens où nous l'entendons nous-mêmes, est-ce qu'ils avaient une idée de ce que signifie une révolution libertaire sur les plans de la construction sociétale, de l'organisation anarchiste sur le plan de l'autogestion, de la collectivisation de la production, etc.: est-ce qu'ils savaient ça? J'en doute.

 

Il y avait une sorte d'attirance envers une idéologie qui n'était pas dévaluée alors que les autres (mis à part un peu les trotskystes, mais bon) l'étaient. Car cette espèce de révolte dont se sont saisis les gens à l'époque, c'était tout de même la plus grande grève générale du monde! Ça a été la plus longue et la plus nombreuse. On n'a jamais vu dans le monde une grève générale aussi importante et aussi pacifique en plus! Parce que, à côté de ce que cela aurait pu être, il n'y a pratiquement pas eu d'affrontements avec des morts. Il y a eu très peu de coups de feu; un peu par-ci par-là, on voyait le matin des impacts de balles ici et là, dans les bistrots, après qu'on se soit chatouillés avec les flics, mais tout cela était très réduit à côté de ce que cela aurait pu être s'il y avait eu décision de réprimer, de tirer à la mitrailleuse, des choses comme ça.

Donc, ce mouvement libertaire, spontané, attaché sans doute bien plus aux symboles et à la forme qu'au fond, s'est développé et c'est depuis cette période qu'il est devenu ce qu'il est, qu'il est réapparu, qu'il est "re-né". C'est étonnant: c'est grâce au mouvement de 68 que l'anarchisme français est redevenu vivant et important. Cela apparaît bizarre de dire ça, parce que la plupart des gens qu'on a connus après se sont divisés en deux camps, ceux d'avant et ceux d'après 68. Moi je faisais partie de ceux d'avant et on était quelques dizaines seulement, "ceux d'avant"! Mais on était extrêmement formés en théorie -en tout cas moi je l'étais chez Gaston Levai-, on avait droit à notre instruction régulière de théorie: on ne risquait pas de ne pas connaître la vie de Kropotkine! Ainsi il y avait toujours une sorte de hiatus entre ceux qui étaient dans la théorie et ceux qui étaient devenus anarchistes dans les manifestations, dans les grèves. J'ai connu plusieurs camarades dans l'industrie surtout qui étaient devenus anarchistes dans les grèves, dans l'action et presque sans le savoir; un jour ils ont vu un drapeau noir passer, ils ont dit "ça c'est bon" et ensuite ils ont appris des choses et c'est à ce moment-là que les "classiques" de l'anarchisme français ont été révoltés.

Pour donner un exemple qui touche au monde de l'édition: je connais un vieux camarade, qui était libertaire, et ne se disait pas anarchiste; il était instituteur, membre de la Révolution prolétarienne -il avait à l'époque 65/70 ans- et avait été contacté par mon intermédiaire par une grande maison d'édition française pour faire un résumé de la révolution. On lui demandait: "Expliquez-nous de manière simple en 50-60 pages, de manière synthétique, qu'on comprenne bien ce que vous voulez exactement". Et il avait commencé à faire un livre à partir de l'Internationale, c'est-à-dire qu'il avait repris les slogans, les phrases et les refrains de l'Internationale un à un et avait mis à côté les explications, modernisées de façon à ce que les gens comprennent, alors que cela avait été fait à partir de la Commune. Ça s'est arrêté très vite quand on a vu que le mouvement s'essouffalit, pire, qu'il était récupéré: au bout de 6 mois on a compris, y compris les gestionnaires de la maison d'édition en question et le projet s'est arrêté.

Mais ça a été tout de même quelque chose, on peut l'imaginer, voyez ce que cela a pu donner: une grande maison d'édition (Flammarion, ce n'est tout de même ni des progressistes ni des révolutionnaires), pour des raisons de marketing, l'ont quand même édité: on a eu 100 000/200 (XX) exemplaires de vendus. Donc, de la part d'un éditeur comme ça, aller trouver un gars qui va vous faire ça, montre à quel point l'intérêt était fort et le mouvement avait ouvert les esprits, puisque même des financiers disaient: "ce serait bien de diffuser la révolution (comprise comme l'anarchie, c'était pas Trotsky, il n'y avait pas vraiment Trotsky là-derrière!), est-ce qu'on peut le faire?". Ça a été un court moment dans cette période, et très vite il y a eu une sorte de reflux qui nous a amenés à la situation actuelle.

 

Un des sujets qu'on discute souvent c'est "est-ce que 68 a eu des enfants? Et quels sont les descendants politiques, idéologiques, de Mai 68"? Je pense que Mai 68 a été très important parce qu'il a montré la capacité de la population à mettre en cause la force des états. C'est quelque chose, je crois, de très important et qui a été ressenti comme tel par les gens qui l'ont vécu: c'est-à-dire que bien que les états soient d'une puissance extrême il est possible de les ébranler et pendant quelques jours l'état existait mais il était en lien avec la population et même les différents éléments de sa constitution étaient parfois interrompus, brisés: les téléphones ne marchaient plus (les comités de grève bloquaient les téléphones: on connaît l'histoire du préfet qui voulait téléphoner à je ne sais pas qui, et à qui le téléphoniste dit "ne quittez pas je vais demander au comité de grève si je peux vous passer votre interlocuteur" - il paraît que le préfet ne s'en est pas encore remis!). Ainsi, les CRS durent se réorganiser de manière à être autonomes: ils avaient dans leurs convois de déplacement de la nourriture, des boissons, ils pouvaient dormir: ils s'étaient rendus compte que le pays leur était tellement hostile qu'ils ne pouvaient plus se ravitailler et qu'il devenait difficile pour eux de survivre dans un pays quasiment en insurrection (il n'y avait pas d'affrontement direct contre eux mais une sorte de pays qui s'était retiré devant eux): ils avaient réintroduit les cuisines roulantes dans les convois de CRS afin qu'ils se déplacent dans le pays sans être tributaires de quoi que ce soit, y compris les systèmes de communication (ils avaient perfectionné leur système de radio, comme il y a eu aussi des gardes autour de la Maison de la Radio à un certain moment parce qu'ils craignaient que des mouvements puissentse saisir des télécommunications et briser par là un des éléments les plus importants du contrôle des populations).

Je peux donc dire simplement qu'il y a eu cette prise de conscience importante de ma génération. Il est possible que les générations qui avaient connu 36, par exemple, ou 45, se soient aussi physiquement rendu compte que l'état n'est qu'une construction qui peut être en tant que telle affaibli, détruit, démantelé, ce qui, pour tous les soixante-huitards, a été un acquis très fort: l'état peut même être vu comme d'égal à égal à condition d'avoir en face une masse énorme de personnes. Cela c'est pour moi le deuxième élément: alors que beaucoup de personnes disaient, à l'époque: "le mouvement révolutionnaire est mort, enfin, il n'est pas violent, en tant que mouvement révolutionnaire actif, d'action de rue, il est mort, il faut trouver d'autres voies". Beaucoup d'anarchistes à l'époque disaient: "Il faut trouver d'autres voies que la voie de la faille"... c'est-à-dire: la force de l’armée est plus importante maintenant que les groupes militarisés d'organisations révolutionnaires, et la population ne se mobilise plus dans la rue, donc il faut trouver d'autres voies. Pendant que certains disaient ça en Avril 68, eh bien on s'est retrouvés avec un mouvement gigantesque qui a démontré dans les faits que ce discours était faux, pessimiste, erroné. Il est encore possible, même dans la société industrielle développée de mobiliser les masses. C'est une sorte de mouvement d'instant très court mais très fort et, bien sûr, ce n'est pas à ce moment-là qu'il faut commencer à se demander ce qu'on fait exactement. Il y a cette possibilité qui est restée mais qui, je crois, demeure à construire. Le mouvement de Nov-Déc.95 peut être vu de la même manière que le mouvement de 86 ou celui des coordinations de cheminots: il y a toute une série d'évènements, comme ça, qui montrent que la population salariée a compris, se souvient, par les transmissions orales ou je ne sais quoi, que c'est possible de faire reculer l'Etat, de faire jeu égal avec lui et, lorsqu'on parle des "enfants politiques de 68, je pense que c'est la seule chose qui reste de fort, l'élément le plus important et sans doute celui qu'il faut mettre en avant.

06/11/2025
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